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mercredi 28 septembre 2011

le lien: une vectorisation du chaos ? (un rythme qui façonne l'objet)

notes et réflexions autour de


Soustraction et Contraction. A propos d'une remarque de Deleuze
 sur  Matière et Mémoire  de Bergson


de

Q. Meillassoux
Philosophie n° 96, hiver 2007, p. 67-93





1.Le vivant en filtre du réel: la perception humaine n'est pas contractante, mais sélective d'un des rythmes de la matière-image11

Deleuze, philosophe de l'immanence, au double sacre de Spinoza et de Bergson.


L'immanence n'est qu'à soi-même, et c'est un plan parcouru par les mouvements de l'infini, rempli par les ordonnées intensives, selon Spinoza, le prince des philosophes pour Deleuze, chez qui il n'y a "aucun compromis avec la transcendance". Dans MM, Bergson décrit ce plan qui coupe le chaos, et qui comprend un mouvement infini de matière et l'image d'une pensée. Mais il n'aurait eu pleinement l'inspiration spinoziste qu'une seule fois, et au début de MM: la théorie de la perception pure relate de l'immanence, puis cette inspiration est perdue: toute perception est mélée de mémoire, Bergson "recule": la coïncidence de la perception avec l'objet n'existe qu'en droit et pas en fait, car la mémoire intervient.

On distingue deux types d'élaboration du signal par la mémoire: la mémoire-rappel (qui intervient par exemple à la lecture) associée au phénomène d'indistinction perception/souvenir (celle qui trouble F. Pessoa, ou tout au moins son lecteur), et la mémoire-contraction, où la perception est pluralité d'instants, générant une mémoire-synthèse de ces instants (stimuli itératifs d'un récepteur, information perdue par latence, télescopage de signaux, etc...). Comme l'irréductibilité des couleurs tient à l'étroite durée où se contractent les trillions de vibrations perçues; si nous pouvions étirer cette durée, c'est-à-dire la vivre dans un rythme plus lent, ne verrions-nous pas les couleurs pâlir et s'allonger en impressions successives, encore colorées sans doute, mais de plus en plus près de se confondre avec des ébranlements purs ? (...) Là où le rythme du mouvement est assez lent pour cadrer avec les habitudes de notre conscience, la qualité perçue se décompose d'elle-même en ébranlements répétés et successifs, reliés entre eux par une continuité intérieure.1 La matière devient ce qui reste de la perception une fois qu'on en a retiré ce que la mémoire y a introduit,"décontraction", "détente" du produit qualitatif de la mémoire. Et nous habitons une certaine échelle de la matière, mais aussi une certaine échelle de durée2. La mémoire produit de la qualité par contraction de la quantité. Comment penser une perception pure ? Et les stimuli sont-ils bien discrets, ou continus (et alors inaccessibles à toute décomposition qui ne serait que perte, comme lors du gravage d'un CD à partir d'un vinyle) ?


Pour Bergon cependant, la matière existe en elle-même telle que nous la parcourons (à l'opposé du criticisme de Kant. Pour Bergson, la perception n'est pas une synthèse, mais une ascèse. La forme reste partie entière de la matière; il y a amoindrissement quantitatif et non qualitatif, métonymie et non métaphore. Pour Kant au contraire, la perception n'est pas soumise au sujet) et la perception est soustractive: il y a moins dans la perception que dans la matière10. Les autres parties de l'objet traversent les êtres vivants sans interférence. Il y a un processus de métonymie entre la perception consciente et la matière. C'est au sein de cette infime partie perçue que nous opérons des choix.

On est bien proche avec Bergson des conceptions védantiques: "les objets sont en vérité plus que les facultés, l'esprit plus que les objets, mais la conscience plus que l'esprit, etc...". En tant qu'organe de la pensée,  l'esprit, qui est plus que les objets, couvre très précisément le domaine du connaissable: il coordonne en automatisme les perceptions centralisées. Il prépare les représentations, qui peuvent parfois se produire indépendamment des données sensorielles. Le non manifesté (ou "inconscient cosmique") est quant à lui la somme des représentations virtuelles. Ainsi "l'observation du monde réel pose des problèmes de perception avec lesquels les vaidya (médecins ayurvédiques) étaient aux prises à plusieurs titres (inspection du malade, diagnostic, thérapeutique, etc.); ces problèmes relèvent à la fois de la représentation de l'univers et des mécanismes psychiques... Et l'objectif de perception pure semble  aussi hors de portée  dans les textes ayurvédiques car si "les éléments matériels sont définis par leurs propriétés, qui correspondent aux essences siégeant dans l'homme, les objets (artha) entrent dans une conception subjective de la perception et seraient donc de pures représentations dans les schémas carakiens, inspirés du Sarmkhya et du Vedânta.
(d'après l'étude par Arion Rosu du compendium de Caraka, dans Anthropologie ayurvédique, in link)



2. La mort ouverte et la mort fermée


La perception opère selon une double sélection: une sélection non libre (sélection des images, faite par le corps) et une sélection libre (un choix fait par l'esprit parmi ces images)4. C'est le corps qui permet le fini (sauf chez le paranoïaque et le mystique...): le vivant est un désintérêt massif pour le réel, infini3. "La contraction a toujours-déjà eu lieu et le chemin inverse n'est pas possible": notion de "noumène" de Maïnon, différentielle de conscience, qui doit nous demeurer inconnu, et qui s'oppose au "phénomène", intégration de la conscience par l'imagination.


Corrolaire, chez Bergson, le souvenir n'est pas une perception affaiblie. D'ailleurs si "tel était le cas, un souvenir intense ne se distinguerait pas d'une perception faible". La maladie psychique est de l'ordre de la modification qualitative5: perception de la matière selon un rythme différent, la matière a en effet des images radicalement distinctes selon ses échelles temporelles et spatiales, le psychotique ne fait que se tromper de rythme, le mystique lui voit tous les rythmes. Les interceptions changent6. Un degré zéro de la perception qui plairait sans doute à Canguilhem. Pour Deleuze, le pluralisme est un monisme: quelque chose  ne passe pas, mais il n'y a pas de dualisme sujet/matière, le flux baigne le sujet et la matière, c'est le degré d'interception du flux qui varie. "Un vivant est un lieu où les flux ne passent plus de façon totale et sans discrimination".

Pour Q. Meillassoux, il y a également un passé non organique des corps, il existe des raréfactions virtuelles. On ne caractérise plus le vivant que par les sélections non-libres, on est dans la récusation Nietzschéenne du libre arbitre, Nietzsche que tout sépare a priori de Bergson... On évoque un devenir actif, augmentation du passage des flux de matière dans le corps7, et un devenir réactif, abétissant, qui augmente la puissance de désintérêt par diminution des interceptions. L'affect est rencontre. "Toutes les forces sont-elles vouées à devenir réactives ?" Toujours pour D. et G., il y a ainsi deux types de mort (et donc de vie): la mort réactive (une sorte d'apoptose ? de narcose ?), repli du corps sur lui-même, "celle du prêtre"; et la mort créative  (nécrose ? inflammatoire !) par dissipation, ouverture toujours plus large aux flux, jusqu'à s'y dissoudre, et qui mène à la folie, et même la folie infinie: il y a effacement de la sélection des images, mais pas des images7. La mort en règne achevé de la communication: devenir un pur centre de communication, alors que de notre vivant toutes les perceptions, "atroce et criard tumulte de toutes choses", nous traversent continûment et instantanément: le vivant en amoindrissement de la douleur, de la folie, dans un devenir chaotique9.



Rien n'est plus douloureux, plus angoissant qu'une pensée qui s'échappe à elle-même,
des idées qui fuient, qui disparaissent à peine ébauchées,
 déjà rongées par l'oubli ou précipitées dans d'autres que nous ne maîtrisons pas d'avantage.
              G. Deleuze et F. Guattari
(Qu'est-ce-que la philosophie ?)



Terreur du philosophe devant les "philosophies de la communication", terreur devant sa propre mort-folie. La naissance en désintérêt pour le flux, le prêtre qui promet une mort douce et une nouvelle naissance-isolement, une sorte... d'immortalité. Tendre vers le chaos par la connaissance, mais sans s'y abîmer... Penser, pour Deleuze, c'est demeurer un vivant structuré, quoi qu'ayant éprouvé la déstructuration naissante de nouveaux flux. Se maintenir Ouvert-Fermé. Ou avoir le courage de repartir vers la pire des deux morts ?





1. Nos émotions en contractions d'affects, chacun de nous fonctionnant optimalement à une fréquence d'affects donnée / à un rythme donné. Fréquence modifiable: psychotropes et/ou extase.
2. Variable d'un individu à l'autre au sein de la gamme de l'espèce, espèce en "degré zéro des rythmes de perception", avec aux marges de la courbe de Gauss d'un côté les "mystiques", de l'autre les "actifs primaires".
3. Ce qui n'exclut pas le corps en outil de mémoire: Joë Bousquet mobilisait son corps absent pour se remémorer (E. de la Héronnière, Promenades parmi les tons voisins).
4. Cette sélection est à rapprocher du mécanisme de l'hallucination négative d' A. Green (Le travail du négatif); le corps en récepteur, au sens biologique, l'interaction avec la matière générant un signal; il y a traitement du signal en amont, avec des régulations positives et négatives.
5. G. Canguilhem fut bien un  maître de Deleuze !
6. Comme pour Castaneda: le chamane active des systèmes d'interception différents selon son "état de conscience".
7.Cette fois on est en plein dans l'Agenda de Mère, compagne de Sri Aurobindo... Réalisation, corps et matière en réceptacles de la supraconscience.  "Ne devient pas fou qui veut?" ne serait qu'une pauvre devise de non-yogi ???
8. Modèle développé, autour de la clinique du traumatisme, dans Exil: la douleur et le spectre de la dispersion, E. Ledru, 2008.
9. "La vie en processus anti-entropique local", cette maxime prigoginienne qui hanta mes années adulescentes, n'était donc pas que réductionnisme thermodynamique, comme je me le reprochais alors...
10. Voilà donc le débat: nos organes des sens établissent-ils réellement, comme l'envisage l'Ayurveda par exemple, un "yoga," une connection avec la matière (et donc nous-mêmes) ? Ou y-a-t-il forcément soustraction en nous-même comme l'envisagent Bergson et Deleuze ? Le réel est-il forcément accessible au vivant ? Seule la mort, libération du Manâs, permettrait l'achévement de la communication ? Et y-a-t-il illusion du monde des vivants (selon le bouddhisme), ou strate bien réelle (avec l'hindouisme) ?
11. Energie vibration des "particules" de la théorie des cordes: nous ne serions que sélecteurs plus ou moins doués des cordes cosmiques ?

mardi 20 septembre 2011

Perte du lieu , perte du visage en inventeurs du lien social


Perte du lieu , perte du visage en inventeurs du lien social 
La catastrophe et le Care



La catastrophe biopolitique

L'identité rend hommage à un ordre1 que le système biopolitique, héritier des catastrophes du XXe siècle, tend à nous imposer. On y « gère » en interne  des figures acceptables, le malade devient victime indemnisable, le réfugié ne sera toléré que sous couvert d'intégrer l'étiquette du "syndrome post-traumatique" qui remplacera son récit d'un ailleurs et d'un propre, le handicapé devra s'effacer devant son plan de compensation standardisé. C'est l'usage du corps qui semble avoir disparu, alors que le sujet est ontogéniquement inachevé, en devenir,  que le corps est trajectoire sur un désir d'exil, que les migrations et les ruses de vie chaperonnent le sujet à l' « autre du monde », étoffent sa contenance, ce contrepoint du réseau asymétrique et dynamique de liens, ou « Care ». Dans l'illusion politique d'autonomie qui cherche à contenir ces expériences singulières émanant du corps des minorités, dans cet ancrage obligé de l'identique au centre, selon des relations symétriques à faible énergie sociale de transfert, les liens inégaux d'interaction devenus vacants flottent au vent de l'inorganique, de l'entropique, de la douleur et de la haine. Ne reste-t-il, à l'individu moderne dépossédé du citoyen, que ce seul sentiment d'autonomie au prix d'une dépossession radicale ?


Ré-inventer le Care

Le handicap physique est du registre de la perte du visage, le handicap mental de celui de la perte de la volonté, l'espèce est au-delà, elle est du registre d'une forme douée de mémoire, tout corps est un pacte avec la forme, et notre plainte est bien interne à notre forme. L'éternité est mouvement des hommes et mouvement des corps, travail sur la limite: la liberté nous vient de l'exil, du voyage périlleux, et de l'exploration – douloureuse – des différents degrés des possibles du corps se débattant face à l'entropie du monde. Inachèvement constitutif du sujet, mais processus de production continue de corps, contenance traversable de pensées et liens à l'autre. La contingence constitutive  de ce corps n'est qu'exacerbée lors de l'exil (perte du lieu), du handicap physique (perte du mouvement) ou mental (perte de la réflexion): l'inachevé, processus ontologique diachronique, porte en lui son contenu positif, mais ne permet aucun havre où l'on pourrait souffler, et l'assistance est contrepoint de cet inachèvement. Le sujet dans sa construction psychique marche vers cette absence, cet effondrement; la liberté navigue dans un ailleurs et une différence, décalages qui nécessitent et favorisent l'établissement d'un réseau de liens inégaux, dynamiques et diachroniques, le réseau du Care, réponse naturelle  à cette catastrophe biopolitique qui a déjà eu lieu: ne pas se laisser disperser. Refaire du lien entre le corps organique obligé de vivre, (...) et les restes de l'être humain, masse affective séparée, inconsciente2, tel est l'enjeu, dans le handicap psychique comme dans le traumatisme. Refaire circuler l'altérité, l'innovation-compensation, à partir du couple aidant-aidé, en synergie et combinatoire diachronique: le Care en processus collectif anti-entropie sociale. Ouverture du "soi" sur "l'autre du monde", stratégie de positionnement, mais à point de départ individuel telle la karuna de l'hindouisme, le Care devrait permettre à nouveau, tout au long d'un processus empathique dans lequel le vulnérable sert de boussole, de "boucler la boucle" entre le sujet et la victime, car le débat pourra alors se déplacer, non plus sur une distinction arbitraire entre "indépendants" et "dépendants", mais sur la distinction entre ceux qui peuvent se procurer le Care dont ils ont besoin et ceux qui ne le peuvent pas. Il s'agit bien  de penser  ce maillage et non une logistique de l'aide à la personne; un réseau adaptatif à des situations toujours singulières, une manière d'être des professionnels, et non une « simple » série d'actes dans une théorie médicale des besoins.


Vers une psychopathologie du Care ?

Croire posséder l'objet désiré  peut-il vraiment faire taire les corps ? La pathologie des masses arendtiennes, secondaire au traumatisme total du XXe siècle, est bien au-delà du simple déplacement du conflit névrotique. On ne touche plus les  corps, l'aide humaine est devenue numérique, et de la rupture du lien entre Alter, mais aussi de la résistance de l'espèce au possible de l'auto-agression, nait une nouvelle schizophrénie du sujet, autonome/victime. Une société Schizobiopolitique. Des questions:


1. La réparation en demande. Maladies déficitaires, malformations congénitales, en autant de représentations retranchées, traumatismes d'avant la naissance du sujet (mais quel sujet peut-il se déclarer déjà né ?), qui peuvent faire retour, qui sont au travail constant dans la construction du sujet. Mais qu'en est-il du passage à l'acte lorsqu'on est en situation de grande dépendance ? Qu'est-ce qu'un passage à l'acte chez le sujet lourdement handicapé ? Dans le couple aidant-aidé ? Et cela peut-il apporter des éclairages nouveaux aux situations de malévolence/maltraitance ? En d'autres termes, peut-on penser une psychopathologie du réseau d'aide à la personne, dans une anthropologie psychanalytique du Care ?


2. De l'Ego dans le réseau ? Le narcissisme - primordial plus que primaire – s'inclut bien dans la compassion puisque son objet premier est le sujet inclivé, ce pré-sujet non-encore en devenir, non-amputé encore de représentations retranchées prénatales, de clivages traumatiques, d'exil géographique, d'amputations de sa chair par maladie, de sa fonction par  handicap. Si le sujet déjà-toujours morcelé est l'objet de la psychanalyse, l'amour partiel qu'il peut offrir à un fragment de lui-même devient étranger à la compassion; mais si l'objet de la psychanalyse est de « récupérer » les morceaux perdus dans le développement du sujet, de lui permettre de retrouver la trajectoire qui a conduit à ces amputations obligées pour avancer, si la psychanalyse est une marche diachronique vers l'inclivé, concomitante à la marche du sujet vers son effondrement, alors le narcissisme se fond dans la compassion.



3. Le lien est naturel et diachronique, le sujet inachevé s'étaye à ce lien, car la contingence de sa contenance nécessite l'énergie de cette liaison. La pulsion de mort, ce concept freudien tardif, discuté et quelque peu énigmatique, n'est-elle alors que déliaison, qui libère l'énergie à l'inorganique ? Déliaison de ce lien d'amour, abandon passif à l'inorganique, et non énergie pulsionnelle autonome; des liens brisés du réseau naturel du Care, livrés et flottants au vent de l'inorganique, délivrent alors leurs courants de mort (que l'on nous déclare haine) ?





Pour exhumer une vérité essentielle,
quelque chose doit être sacrifié 3 




1. M. de Certeau, L'écriture de l'histoire
2. S. Ferenczi
3. A. Ronell, Test Drive

samedi 17 septembre 2011

l'objet discret et la pulsion de l'épreuve (l'entre de l'histoire)



Une brunette qui m'interpelle avec « Voyage », lu il y a tout juste dix ans, et dont je ne me rends compte qu'aujourd'hui seulement qu'il démarra un cycle, histoire intime du vingtième siècle traumatique que je ne savais encore moi, retranchement. Me mènera jusqu'au point d'orgue de la douleur... « forcément externe », dira le jury... voire...1 Quel donc est le rôle, ou la nature, de la pulsion de mort, ou du « jugement de Dieu », ordalie et torture, que nous nous imposons sur la marche de la connaissance ?  Mais sans doute aussi est-ce l'inverse - , et nous évidant la chair, dans les pas d'un certain Michel de Certeau, l''épreuve est sans doute indissociable du cheminement dans les marges, où seule la chair à cru sans doute assure les contacts, notre forme commune se cache longtemps derrière un privé d'illusoire, un fruit trop/jamais mûr d'un pieu de famille, de quelques mois intra-utérins pendant lesquels l'autre de nous-même, cette neige de sang si confortable, exacte contre-forme, nous amortit de son mieux. Puis la construction traumatique du réel: notes et contre-dires autour de


Test Drive
La passion de l'épreuve
A. Ronell2
Stock, 2009






Ce livre a une odeur pastel de sable, de pères du désert à l'ermitage.
En première de couverture: comme une maison Dogon, ce regard même sur le village et sur l'inconnu, que l'on met à l'épreuve, justement, de soi-même: un retournement à venir de l'épreuve vers l'Etre. Passion de l'épreuve, attirance mystique, porte scellée du Hogon, cet homme âgé mis au ban  pour la vérité de la communauté, et qui un jour disparaît.



1. Objet restreint, objet écrit

Cadavre et expérimentation
Test Drive forme assurément le tome II de L'écriture de l'histoire3. Torture antique, examen de conscience chrétien, analyse contemporaine: faut-il se complaire dans le conflit-découverte, ou bien lâcher prise, tel le marcheur blessé, qui s'échappe uniquement de la guerre par la mise en gage d'un oeil à la mémoire4. Mais nous ne sommes encore qu'habitants de notre époque, ce néolithique finissant qui est celui de l'expérimentation et qui a mené aux camps5, alors ce livre est témoignage et non bréviaire. Il faut sauver le soldat border-line: même dans l'état de satisfaction le plus hallucinatoire, le moi sent que quelque chose lui manque: l'inquiétude l'envahit et il lui faut mettre en route la machinerie de l'épreuve, la vie comme mode de connaissance, comme science de la connaissance, espérait Nietzsche, un outil entre mémoire et deuil, entre initiation et délit: entre6. La vie-outil, la vie science de la connaissance, et la mystique en science expérimentale, et voilà déjà pourquoi nous sommes toujours en de Certeau.

Dans la brume indécise des notes anciennes une faible trace de lumière point:
la parole de l'âme va se faire entendre.
James Joyce


Ensuite ? Les mots qui ici passent et disent sont les seuls et impossibles brevets issus de cette expérimentation, parcourant les vides et irriguant les failles, vous amenant à congruence, avec les mots nous sommes au contact et donc bien au-delà du concept, ils sont délits d'initié, glue entre l'ineffable et l'irréfragable7, et ce dernier mot là, il fallait bien qu'il fasse le détour d'outre-Atlantique pour qu'on le découvre. L'humour d'Avital est direct, et ça c'est peut-être bien très nouveau en philosophie. Nous sommes dans une autre trans-création, les nouveaux philosophes sont forcément traduits, forcément, ils ne s'expriment pas en direct à la radio, ils ne sont pas perdus en l'instant. Mais voilà l'objet de la science, et pour Husserl,  il est infini, dans son expansion mais aussi dans ses reflets, en volume et aussi dans l'ici et l'instant; le sens d'origine, la proto-fondation du sens, a subi une perte sous l'intervention de la tekne8; l'objet, confronté à ce réductionnisme, est devenu un objet restreint, porteur d'un héritage de sens, mais aussi de greffes de sens. Que nous reste-t-il à porter sinon un questionnement en retour ? Ce questionnement qui aura allure de méditation, au mieux, dans les cénacles de la science d'aujourd'hui... Nous voici donc en plein « objet de ce livre », dans la scène de cette répression, qui pourrait bien gouverner notre Dasein, et qu'il nous faut examiner. Cette science là ne constitue pas le dehors de la science, car nous ne devons pas seulement chercher à révéler une vitalité originelle, mais aussi tendre l'oreille vers le futur que la science porte en elle. Comme une archéologie du savoir... Science et philosophie ont fait défaut, ont ignoré des failles; les lois ont mis fin à tant de lectures, ignorant les marges de toute oeuvre.

Il y eut les mouvements des empires nomades, la fondation des cités dans ce tissu des voyages humains; avec le christianisme, des états plus ou moins stabilisés se confrontent, des masses se forment; au XVIIè le collectif Eglise cède le pas aux états-nations, à leurs hécatombes, aux cris de leurs tombes9. Il y eut l'époque des voyages des hommes, du mouvement; il y eut ensuite la période des masses; vînt avec la modernité l'ère de la mort, l'ère du cadavre: l'expérimentation culmine en tas de cadavres; mais dans les failles survit pourtant la vibration d'une contre-culture qui peut ouvrir les siècles qui viennent au Réel, à l'Etre, à Gaïa, et la civilisation de l'épreuve s'éteint peut-être, peut-être sommes nous, comme à celui du pétrole, au pic des nations. Le test était du registre du risque absolu et conduisait vers l'inconnu, dans une immanence de mort. Le test désigne une vacance, un effacement sans fin de ce qui est. Le test n'admet aucun principe divin, aucun sens premier ni dernier. Il nous faudrait donc comprendre, au bout du livre, comment se soumettre à l'épreuve pour dégager l'Etre, sans suicide. Comprendre quelle est cette épreuve créatrice de et dans l'Etre. Se soumettre à l'épreuve tout en jouissant de l'Etre. Quelque part en un point non pas d'équilibre, mais en une conjonction première, atteinte de force, au-delà de la séquence épreuve / risque absolu / mort / : vers le karma de l'Etre, dans sa contingence, certes, mais dans une contingence créatrice; au risque de l'entropie et de l'inorganique, oui, mais dans des dimensions de sens croissantes.

Nietzsche fut sans doute le premier à voir notre époque comme celle de l'expérimentation, et qui allait nous mener aux camps, et Lacan ne fera que le citer quand il clamera qu'Auschwitz est con-substanciel de la médecine moderne, cette science expérimentale10. Les camps, des labos où la croyance fondamentale du totalitarisme – « tout est possible » – est vérifiée; les camps, un outil d'élimination de la spontanéité de l'être humain11. Nietzsche espérait la vie en ellipse: un foyer de la mémoire, des initiés, et puis un foyer du délit, de l'expérimentation, du deuil, de la douleur, de l'ego et de la violence. La vie est une science de la connaissance, un laboratoire et une science, les mots qui passent et qui disent en sont les seuls et impossibles brevets: la vie est un délit d'initiés, elle n'est pas un « quoi », un « qui-a-t-il », une interrogation sur le sens, mais elle est une truelle du réel12.


Autisme scientifique
L'épreuve scientifique réfute et affirme. Elle affirme la non-réversibilité, aussi. Sauf à rêver le p < 0.001: l'épreuve scientifique affirme le temps et sa flèche. Nous revendiquons ici la réversibilité qui nous fascine, car l'épreuve relève de forces qui détruisent moins qu'elles ne disqualifient: l'épreuve prolifère dans un monde d'émerveillement, dans une humeur de stupéfaction, elle effectue des choix, dessine et masque l'objet, mais ne le détruit pas. Elle affirme la contingence de la vie, mais elle affirme la vie. L'épreuve est du registre de l'ironie et définit une cartographie de la rupture, qui entravera mais n'abolira pas la possibilité d'un travail de re-collection, de ligation, de rejointoyage de murs devenus fantômes. L'épreuve ne brûle pas l'essence mais rend plus ardu le chemin vers elle13. Il s'agit, dans le filet de la théorie, de ne voir que la maille, la faille, la pêche qui échappe, et pas la masse, les faits ennassés. Il s'agit de récupérer la perte. Je ne lance pas de filets14.

Les théories sont des filets: seul celui qui les lance pêchera
K. Popper


« Le test signifie, entre autres, que ton petit pipi appartient à l'état ». L'institution, la norme, la frontière, le test est prise de position du corps par la société. Freud lui-même soumet la construction du petit d'homme à l'épreuve de réalité, à la construction d'un dehors. Pour Husserl, l'attitude agressive de la science a détruit l'aura et épuisé la vie, les sciences se sont éviscérées elles-mêmes, l'illusion de l'autosuffisance obère la vision et éclipse tout avenir possible. Dogme des Lumières15, l'épreuve est la conscience éthique de la science et a seule le droit de décider de la vérité. Nous, nous sommes bien ici dans une éthique scientifique au service de la métaphysique, cette science que de Certeau voulait établir. L'ingénieur est le servant de la civilisation de l'épreuve, le savant celui de la civilisation du rite; chasseur d'obscurantisme, l'ingénieur est tenu à distance de la vérité; le rite prend le risque de l'éternel retour mais s'enrichit à chaque cycle, par ce pèlerinage qui est d'abord une quête sur les lieux mêmes du non-connu, une collection de contigüité dans ce monde devenu tellement discret plutôt qu'un test qui définit ce que l'on cherche, ou ce que l'on veut jeter, ou ce qui n'existe pas. La science, possibilité et obstacle16 en demeure prépolitique, prépsychotique, c'est un lieu sûr mais où l'Etre meurt, un lieu isolé de la rumeur, isolé de l'hostilité même de l'inorganique. Derrida parlera d'illégalité de l'invention, ce qualifié de « nouveau » mis-à-jour par le test: la nature n'y devient réelle qu'en tant que modèle, l'espace du réel perd son point de référence absolu. Un aspect d'inventaire du réel, et aussi un aspect de jouissance, mais qui paradoxalement ne va pas vers un « plus de corps », et Artaud hurle.

Pourtant ce « nouveau » dé-couvert introduit du désordre dans un lieu. Pourtant il existe bien une errance empirique de la recherche expérimentale, tourbillon exploratoire de l'objet (à force de test, l'ensemble du réel sera-t-il scanné ?) que tente de nier la forteresse de la productivité. Mais l'hypothèse a priori du test exclut par avance les résultats inattendus, mis à l'opprobre; et les résultats négatifs des tests ne sont que rarement publiés. Que recouvre donc ce négatif, ce négativé ? Que deviennent les non-événements de l'expérience, quel sera la durée de l'après-coup qui les fera ressurgir, et de quelle révolte déchireront-ils les bords criards des congrès ? L'écriture de l'histoire recouvre le réel, la passion de l'épreuve cherche à le découvrir, en deux circulations autour de la perte et du tout, naviguant dans une illusion d'une logique de la pensée, voire d'une téléologie du processus expérimental. L'objet scientifique reste indéfinition en lui-même. Il est possibilité et obstacle, c'est le processus expérimental qui le met en place, il n'est pas donné dès le début. Au principe d'incertitude dû à l'observation, A. Ronell superpose en processus parallèle l'écriture impossible de l'objet, comme une historiographie de l'objet mais à venir, nouvelle pierre d'attente certeaulienne.  L'épreuve définit bien un « réel scientifique », selon Bachelard,   dans un processus similaire à l'élaboration du langage sous-tendue par ce qui est en train d'être exprimé: perte de pensée et construction de concept s'entrechoquent au point de contact de ces mille-feuilles deleuziens, aucune strate n'est le réel, chaque limitant et chaque contenant pourtant nous en définissent une singularité qui s'offre à nous sans exposant d'échelle, sans déplissement, sans représentation, qui nous est donnée quel que soit l'état instantané de contingence de notre corps17. L'objet de la science est infini, car il est objet en expansion, et objet reflet; le « sens d'origine », cette « proto-fondation », a subi, exposé à la teknè, une perte, et la science en devient autisme, et l'objet restreint, héritage de sens, greffe de sens, mais amputé; et la scène de cette répression est bien ce qu'il nous faut examiner, annonce A. Ronell, cette scène qui n'est pas le but de la science. Et plus encore, car nous ne devons pas seulement chercher à révéler une vitalité originelle (« il n'y a pas d'essence », dirait de Certeau), mais aussi à tendre l'oreille vers le futur que la science porte en elle. Dans l'exploration de ce manque, science comme philosophie on fait défaut, n'ont fait que border la faille; mais peut-être l'époque qui vient, qui débuterait en un XXIè siècle « religieux », attentive à la faille, véhicule de toutes les contre-cultures, sera-t-elle celle de l'Etre, porteur de tous les karmas, celle de l'ouverture sur le Réel, par la béance de l'épreuve...
2. Lieu et éthique de la science. Ruptures ?

L'épreuve-outil du Réel
Civilisation de l'épreuve versus civilisation du rite; épreuve et vérité versus  obscurantisme et un éternel retour ? Mais ce retour s'enrichit de l'épreuve, fait saut et arrache de la matière à chaque cycle, et nouvel état métastable d'attente, et acculturation. Climat, techniques, le savant qui saura, ne savait pas, croira; occident versus orient ? Tout l'à-venir est bien dans ce versus qui toujours nous échappe; seule la science se dit ce « lieu sûr » que le voyageur doute de son rire, un lieu sûr qui nous englue dans une spéculation et une hostilité que l'on voudrait dire Nature. L'éthique devient une réflexion sur ce « mis-à-jour » de l'expérience, qualifié de nouveau, sur le « degré d'illégalité », selon Derrida, de toute invention, sur le degré de désordre introduit dans le lieu qui ne se dit pas autre d'emblée. L'éthique se cherche en « plus de corps » entre la jouissance et l'inventaire, elle questionne l'illusion d'une téléologie du processus expérimental, dans laquelle la nature ne deviendrait réelle qu'en tant que modèle. Et dans ce nouveau lieu d'examen post-expérimental, le moi court bien un risque absolu...18, forme extrême du jugement qui s'abat sur le moi, étranger à lui-même. Ce décalage de la stupidité ébranle bien la temporalité, la continuité, le temps de la science, le fou persiste dans un absolu décalage, succession autre d'instants, quand le mystique enfle son temps à l'infini, un seul éclat. L'épreuve a été d'être regardé, terrain d'épreuve, à l'antipode du toucher de l'amour, elle s'est reculée pour pouvoir te voir, produire de ridicules affirmations sur toi, et toi tu n'es plus qu'une hérésie statistique, ta forme abandonnée, ghost the sheep.

Le corps est au centre de l'épreuve. Car finalement la rupture repose sur une forme de continuité, une continuité qui n'a jamais été assurée, le soi était solution de continuité ! Et l'opposition didactique discret / continu ne se pose pas en ces termes, la solution est discrète, le discret est gradient, le gradient est spectre, nous sommes gradient et spectre de notre compost de limites. L'esclave au sein de la cité, le névrosé au sein de la culture, et le fou au sein de la guerre: le corps est au coeur de l'épreuve, latence et torture, aucun gap, métastabilité. Et la douleur, de l'ordalie à la science, assure la rupture, au sens juridique, comme la jouissance confronte au réel. Question-vérité du système démocratique – démographique ? - , corps du maître, cri; torture-silence du camp nazi, clos de la dictature, plaie étouffée, tentative d' eugénisme - qui n'aboutit inéluctablement qu'à l'amputation de l'espèce - , aucune élimination n'est possible. Affirmer encore une zone grise ? Mais il n'y a que de la pierre, du cri, et des failles sans doute, il faudra régler plus loin le problème des bourreaux, Certeau et Ronell sont magiciens blancs, il n'y a pas d'espace autre entre expansion mystique et contraction douloureuse19. A chacun son corps esclave, retranché ou refoulé, surgira un jour le témoignage, après le lent débobinage ou le fracas suraigu, le quelque chose de sacrifié soudain exhumé, soudain de stupeur ou soudain de douleur, parricide et vérité essentielle. Et sans doute n'y a-t-il pas non plus de créativité du traumatisme, mais bien une chair-vérité, une chair-voyage, découverte surgie de l'épreuve, témoignage toujours si étrange qu'il en apparaît nouveau, car le témoignage est invention qui s'oppose aux expérimentateurs. Le corps dicte les ingénieurs, la contiguïté les probabilités,  le tissu le laboratoire, les mathématiques la physique, le système la nomination. Car le discours emprisonne le corps dans le lieu où la pensée se constitue, dit Ronell-Certeau. Qu'arrive-t-il à ceux d'entre-nous dont la souffrance n'a pas été légalement prouvée ? La pensée spéculative échoue à soulager les victimes d'une blessure historique, et la phrase-événement plonge au coeur du mal la victime qui devient plaignant20. Reste l'outil de ceux dont la fragilité discursive est attestée, ceux dont la phrase obéit à d'autres règles que celles du cognitif, peut-être privée du pouvoir de signifier, peuples contestés, victimes de viols, survivants de situations extrêmes. Révisionnisme du cognitif, silence, preuve testimoniale. Mondes singuliers de détresse improuvable. Ne reste qu'une seule chose, un sentiment effrayant, terrible, pour lequel la philosophie doit trouver une phrase21.  Un idiome non testé, une région intacte, plus de réel, ensuite la pensée fera strate, mais d'abord il faut avancer22. « Quelque chose se passe » entre la fiction du « je suppose » et la vérité du trauma. « Je suppose » de la machinerie de l'épreuve, réel de la souffrance hallucinatoire; consensus et singularités. La vérité n'est pas un invariant, platonicien, elle se construit de ces étranges singularités qui nous font retour, la vérité se construit en diachronie dans ce temps du retour, du différé, du retranché, et on est bien au-delà de la psychanalyse qui irait vers une origine, on est bien poussé - dans ce un peu moins que maintenant et un peu plus que là - vers le demain du réel23. Rentrer en contact avec les réels rouages du possible, s'y tenir. Il s'agit  bien de développer donc, obligés avec Ronell et Lyotard, cet engagement philosophique à la souffrance, dans l'ancienne chasse gardée peut-être des philosophes chrétiens, mais à l'ére du Care réinventé, contre-culture à la morphine du biopolitique aujourd'hui délivrée  en couche épaisse, épaisse... 

Les mots impossibles du sentir
Car il faut y aller, même, et surtout, si l'objet est élusif. Soulever, utilisant ce levier du cognitif, de la représentation, le réel lors de ces éclipses catastrophiques, atteindre ainsi au coeur des choses (tous mes philosophes se répètent), mais atteindre bien à la chora24, étonnement du non-sens, passion du stupide, du transi, du sublime. Demeurer, le lieu évacué, dans la stupeur25. On n'est plus dans le témoignage, on ne discute plus l'affirmation philosophique, on goûte un reste inconfortable, un au-delà du mot qui tend toujours à la chose mais sans abolir jamais totalement l'espace résiduel qui l'en sépare, au risque du flirt avec le langage du négationniste26; on négocie sans cesse avec le cognitif pour le tenir à l'écart, on accumule les faux-pas aux yeux du social. Ces « pas au-delà » de Blanchot, à la frontière entre le test et le testimonial, vers ces objets de trop des vivants et des morts, qui se portent les uns les autres, et nous touchent parfois par l'image, comme ils touchent aux morts, espace intermédiaire retrouvé. Connaître n'est pas la voie, mais sentir27, et en écrire. De l'impossibilité, aussi, d'écrire le sentir, autrement que par le manque inchoatif de l'inter-mot, des mots qui contournent, du contrécrire28, ou que par les pieux de la poésie qui n'articule29.

Le silence nous porte dans la proximité du lointain.
Parole encore à dire des vivants et des morts,
témoignant pour l'absence d'attestation.
Maurice Blanchot30


Des pratiques non occidentales de l'épreuve
Une épreuve tenue en réserve, et sans idéologie de résultat. Face à une énergie hostile, le disciple du Taï-Chi fait justement un pas-de-côté, et laisse cette énergie se briser contre son propre vouloir. Le disciple tente un déplacement de limite, alors que l'énergie hostile, justement, ne l'est que parce qu'elle cherche à tester une limite... Le « Dividu » à plusieurs facettes, plus ou moins publiques, plus ou moins privées31, n'est là que dans un exercice, tandis que l' « Individu » occidento-proclamé ne peut que rire, douter, ou crier au diable, au mieux régresser dans son protoplasme, fuir et se vider. Le Graal occidental est un front externe à atteindre, puis à défendre; les défis intérieurs des maîtres zens, les  kôans, conduisent à une confrontation immobile et n'ont pas de dehors, leur voyage n'est pas normatif ni narratif, et leur résolution ne met pas fin au voyage, leur résolution se fait dans le sans-limite, cette « vacuité » qui est bien absence de limite fixe ou définitive. L'épreuve occidentale nous mène vers la dépossession de soi, par Dieu, l'éthique ou l'état; à l'Orient de soi l'épreuve nous mène vers possession, jouissance, jeu  dans un réseau de limites. La quête d'occident est réduction du jeu et assignation dans un modèle, un espace et une temporalité. Une matérialité élusive du monde, une épreuve sans conditions pré-existantes, une réduction aux qualités symboliques, une perte du continu, du toucher avec soi-même32. Le kôan provoque le doute, le retour sur le temps, invoque la vacuité, il est une autre logique de l'épreuve, un combat en vue d'une solution, dans la patience et la retenue extrême; le kôan est lâcher-prise et concentration, assaut sans fin, collaboration corps/esprit sans arrêt en route au symbole, pour un autre lieu de la pensée et non pour une nouvelle muraille. Un choc violent sur le disciple débute l'épreuve, choc qui permet l'ouverture de la pensée sur les possibles, la dépossession, et non sur les catégories. Le choc, au coeur d'Etre et Temps, reste toujours à explorer, nous dit Ronell, il est essentiel33.



3. Choc et humanités

Le maître, et puis plus de maître
A. Ronell n'expose pas une théorie, mais elle passe en revue les aspects de l'épreuve; ce livre n'est pas un essai mais plutôt une encyclopédie de l'épreuve; il est donc peu accessible à la lecture métonymique, n'étant pas simple dépôt d'un concept philosophique; il est un roman de l'épreuve, impose la lecture de sa totalité, mais il mérite ce résumé. Au détour des auteurs explorés, des plis du temps, des phases d'éveil, un troisième oeil, qui nous mènent certes à un concept, mais pas totalement détouré. Ici encore, et dans les pas de Certeau, Ronell est inchoative, en ce qu'elle nous livre, au détour de lectures argumentées, les bonnes questions. Reste alors l'expérience du répondre, insaisissable, épuisante, reste une marche du répondre, de choc en choc, du kôan zen au désastre de Blanchot. Reste, après ces illuminations de l'éveil dirigé, à sa lecture, le voyage solitaire, tout aussi extatique, même – et surtout - si l'on y comprend qu'on ne peut arriver seul à la solution, qu'il y a bien nécessité du maître qui donne le coup. Le maître se tient pour rappeler qu'il doit y avoir quelque chose à lire en dehors du sujet, et que le combat est égalitaire,  quiconque remporte ce combat du dharma gagne. Maître  qui aide à constituer l'épreuve de l'illumination, mais aussi parfois qui accompagne dan le recueil de la pensée. Là peut-être est ce qui nous manque, cette formation scholastique aux humanités, expérience dirigée et systématisée du dire et de l'écrire, car si l'extase peut être catalysée par le père virtuel, le recueil du dire, lui, nécessite le substrat direct et directif de sa main et de son exigence, le compte à rendre. La quoibilité navigue de l'enchantement de la découverte, de sa porte qui brusquement s'ouvre sur la fascination de la multiplicité et de la contiguïté des possibles (optimisme scientifique); de l'excitation de l'interprétabilité infinie (dérive métaphysique), et de la non-invasion par la culpabilité de non-totalisation34. Le kôan, cet art de vivre avec la question35, le doute qui s'insinue conduit à l'illumination, en cette limite atteinte de l'expérience traumatisante.

Le saut
« Là-bas, j'ai eu trop de deuils, je ne pouvais plus faire le saut, alors je suis partie ». Alors la migrante d'expliquer la douleur du saut rituel du deuil, épreuve au dessus du feu, et qui devient impossible quand les morts se font trop proches. Le saut a la faveur de Heidegger, car il ne va nulle part, il est exercice phénoménal, c'est un mouvement de départ et de retour qui reste à la même place, qui veut faire passer quelque chose d'un lieu à un même lieu. Quelque chose a passé. Comme dans la légende, quand, le chevalier ayant franchi un cours d'eau, l'époque a changé, mais le lieu reste identique. Le saut, l'épreuve,  aboutit à l'ouverture d'un espace primordial, antérieur à la différence et à la division, navigation dans l'espace intermédiaire, vers l'androgyne. Quelque chose vous force la main, dans ce ralentissement propre à la compulsion de l'épreuve, nous dit Ronell. Une émancipation de l'inconscient, nous dit Jung. L'avénement de la question que nous sommes, dit Certeau36. L'Etre, au risque de la fuite, au risque de l'effondrement; la question qui rejointe le conscient à l'inconscient; un reste à penser qui émerge, une pensée-épreuve, entre la liberté et la mort. Elle, femme, a quitté son lieu encore impossible37.



4. Crises ou Essence ?

Réussir l'épreuve n'est pas la question-titre
Par delà le bien et le mal, ça semble facile de toujours prédire Nietzsche... les philosophes de l'avenir seront des expérimentateurs... Le progrès flamboyant et annoncé, mais les chercheurs, la main-mise des ingénieurs et la norme, mais la science des savants... Entre, où sommes-nous donc ? Dans quelle critique de la démocratie-technicisation trouver le passage ? Bien sûr Nietzsche les voyait, ces camps nazis, l'horreur de ces laboratoires dérégulés, mais peut-on gouverner un laboratoire ?38 Et Derrida de renchérir, de repenser la démocratie au delà de l'état-nation, celui-là même qui a besoin de l'épreuve pour survivre, et qui dévore son corps de l'intérieur... Mais il y a un prix de l'indépendance, et celui qui s'élève contre la stupidité est aussi celui qui se soumet à l'épreuve39. Voici les dix commandements alternatifs, vapeur renversée et pourtant aucun moteur en marche, ou comment devenir l'acolyte de l'anacoluthe: ne pas se lier à une patrie, ne pas se laisser lier par une pitié, ne pas s'attacher à une science, ne pas nous lier à notre propre détachement... un détachement du détachement... une marche sur le fil d'une négativité libre... le lieu de l'épreuve creuse bien un trou dans toute synthèse possible...40 L'acte de résistance organise et désorganise à la fois. Terrible exigence donc de cette désappropriation à soi-même, et toujours réitérée, ce refus d'adhésion à toute structure qui pourtant semblerait accueillante. Mais où est donc le « berceau » de stoïciens (lien) sinon dans le contrepoint de notre impossible structure, explorée dans un continuel tourbillon ? On doit se refuser à se laisser mourir dans l'étrange douceur de la neige... Cette épreuve Nietzschéenne de suspendre l'effort, d 'éviter l'éjaculation, de ne pas céder à l'organique41 est sans doute l'épreuve totale, celle de la dépense, de l'éviscération, de l'exonération chirurgicale materno-paternelle; ne pas céder à l'organique, c'est gagner et rester et tenir dans l'impalpable frontière entre la liberté et la mort; entre l'effort extrême et l'absence d'effort, on y est tout prêt de la dissolution, tout prêt de l'effondrement (lien), tout prêt seulement, et libre, car « ce qui ne tue pas rend plus fort », tautologie peut-être de la traversée du traumatisme chez les seuls rescapés42... L'indépendance ne résulte pas de l'épreuve: se soumettre à l'épreuve constitue en soi un acte d'indépendance, un voyage, un accueil du féminin en nous, un acte où le Soi attend un résultat, mais c'est d'une plutôt d'une négociation que pourra s'interrompre l'épreuve. Gros d'éclairs nouveaux le traumatisé est un orage qui avance et qu'il faut dire pour l'éteindre.

Husserl. Phénoménologie. Psychologie descriptive. Laissez tomber toutes vos précédentes validités ontologiques. Prenez une nouvelle attitude. Brentano, Heidegger, Jaspers, Harendt. Lévinas, Sartre. La phénoménologie en étude de l'essence de l'expérience consciente, intentionnelle43. Comprendre l'histoire, c'est saisir le moment vivant de solidarité et d'implication mutuelle dans la formation du sens, le moment de sédimentation du sens originaire. Le flash empathique au monde. Il n'est donc plus question de faille et de circulation, mais de dépôt. Le tome I était transmission malgré la construction, le tome II est compréhension, mais il y a forcément un passage entre ce présent et ce flux, par où le passé n'est pas mort. L'histoire n'est pas dans la stratigraphie mais dans le pourquoi de chaque sédimentation, comme dans le pourquoi de chaque non-sédimentation; la phénoménologie elle, assigne le soi à une demi-histoire, qui cédera vite à la génération, qui dira bien le sujet mais pas le Soi, car le temps lui-même est à l'épreuve. De la rupture: je ne puis m'empêcher de précipiter la fin, que ce soit celle d'une oeuvre ou d'une relation; la fin est quelque part entre la perte et l'aboutissement. L'oeuvre est le deuil impossible d'un auteur que l'on n'a jamais rencontré, que l'on a souhaité rencontrer, en tant qu'homme. Nietzsche et Wagner. C'est par ce break-up que peut passer le passé: Nietzsche ne cesse  de s'exposer à la fin mais sans jamais accomplir cette fin, et ainsi la perte reste de son côté. Ronell, une dialectique avec la fin: une mystique44. Mystique: l'image du mort s'incorpore, car le passage se garde bien, juste à l'orée de la perte mélancolique. Nietzsche interrompt le circuit du deuil45. Il a, comme tous, commencé son voyage avec un cadavre sur le dos, le transporter est fidélité, et par cette fidélité nous lésons notre Moi supérieur46. Une maladie des rencontres plutôt qu'une immuabilité généalogique du deuil. La mutabilité - l'altération – domine la scène du rapport à l'autre, dit la voix off. Nous nous protégeons, exigeant la constance, louons les fiables... L'épreuve est une anticipation du deuil, préservant un espace granuleux à l'invasion comme à la fuite de l'image. Epreuve du Moi supérieur, fidélité du Moi inférieur, nous devons pour circuler, pour nouer dans l'entre, être des traîtres de façon chronique, Nietzsche termine Humain, trop humain en évoquant la figure de ce voyageur, surgie des effets de la rupture, intellectuellement détachée de tout habitat durable. Dans la mesure où le temps est, le voyageur avance et traverse, nous nous avancerons, en nobles traîtres, il sait quand plier bagages, pour un voyage sans but dernier, car il n'y en a pas, seule l'épreuve de la négociation du Soi, seul le plaisir dans le changement et le passage. … il était hors de soi, cela ne fait aucun doute. Maintenant c'est la première fois qu'il se voit lui-même... Errer est un gage masochiste de vigilance, la fidélité suppose distance, l'ami est l'être futur, Zarathoustra enseigne à l'ami le plus éloigné.

L'esprit libre vit l'émerveillement,
le premier affect philosophique associé à ce titre à l'idée de science.


Le libre esprit, et le plus de corps, au risque du soudain de la mort-folie. Nietzsche est enceint de l'autre, Certeau est éviscéré de l'autre. Les deux voies seraient bien celles-là. Un grand affranchissement pour le premier, une marche pour l'autre, et entre une extase. Un désir de monde vierge du premier, il faut partir de ce qui nous lie, une expérience d'un tout-monde pour l'autre, qui se fraie dans les fragments d'hier. Mais dans les deux processus, au cours de cette révision, la disposition expérimentale émerge d'un traumatisme, s'accompagne du choc de la perte, dont l'inévitable résidu crée une ambivalence inquiète. On se retrouve donc seul à essayer, explorer et fouailler les choses mêmes qui vous attirent et vous apaisent, dans les régions voisines et indécidables de la santé et de la maladie. L'épreuve est éloge du borderline. L'esprit libre finit par généraliser son cas, comme s'il était capable de faire don d'une coupure. Il faut que tout ce qui m'est arrivé arrive à tout homme en qui une mission veut prendre corps et venir au monde. L'être en quête d'androgyne accomplit la séparation.



Notes
3. M. de Certeau, L'écriture de l'histoire, Gallimard, 1975. Ou la « grande histoire » n'est que la reconstruction de faits à partir de l'expérience devenue opaque du corps social, à l'outil de l'écriture qui instaure des coupures. Mais, à l'inverse, déconstruction et marche, l'écriture inchoative de de Certeau permet l'entrée du sujet dans son texte, « à la manière d'une insurmontable lacune qui porte au jour un manque et fait sans cesse marcher ou écrire encore ». Procédures et lacunes. Un rapport bidirectionnel du logos à une archè, ce « principe ou ce commencement qui est son autre »; un déplacement continuel de l'articulation Nature et Culture, posée par l'historien, recherchée par  l'historiographe. Des écarts entre les expériences et l'institution, des efflorescences actives et orales par lesquelles « une société entière dit ce qu'elle est en train de construire, avec les représentations de ce qu'elle est en train de perdre ». L'objet est incomplet non pas seulement de sa partialité, de sa construction, mais aussi de la disparition des commencements au souvenir. L'objet se clive de cette image de l'origine qui est devenue archaïque à cause des déplacements continuels des représentations. Congruence des objets incomplets (dépecés) des discours, le trou des connaissances, insurmontable, parle. Le pélerinage se fait enfin à rebours, du centre vers les bords, en quête de cet espace, où « le bruit l'emporte sur le message ».
4. Dans cette « communauté de ceux qui sont unis par le sceau de la souffrance » d''A. Schweitzer, redécouverte par T. Dooley (La nuit où la montagne brûla), théorisée comme « communauté fraternelle » par M. Weber.
5. « Des laboratoires où la croyance fondamentale du totalitarisme – tout est possible – est vérifiée », outils d'élimination de la spontanéité de l'être humain (H. Arendt).
7. Le langage ne peut être qu'inchoatif, mais les mots, eux, sont irréfragables.
8. Cette méthode qui permet la réalisation progressive d'une tâche. Une relation nouvelle entre tekne et episteme, un modèle d'innovation permanente, culmine au XXe. Episteme est une idole, notre science n'est pas une connaissance mais un désir de connaissance.
9. Cf. M. de Certeau, La possession de Loudun, Gallimard
10. J. Lacan, Psychanalyse et médecine
11. H. Arendt, Les origines du totalitarisme
12. Un laboratoire divin, pour Bergson-Aurobindo.
13. Certeau se refusait à admettre une essence et ne déclarait que des chemins vers elle; Ronell affirme l'essence et la possibilité d'un chemin.
14. Et c'est sans doute l'apanage du mystique, c'est-à-dire celui qui produit les marges. Jésus ne faisait qu'indiquer aux pêcheurs jeter le filet. Inutile d'y être, piégé.
15. La réforme allemande, elle, mettra en avant le doute, et l'interprétation hors de toute autorité institutionnelle. 
16. A l'image de l'obstacle du langage à ce qui est en train d'être exprimé: limitant et contenant.
17. L'expérience est aussi un lieu d'examen où le moi court un risque absolu, car l'épreuve de la réalité voisine dans l'expérience la psychose amoureuse; de ce noeud je voguai jusqu'à aujourd'hui, de l'extase de la dissection d'une chaîne métabolique je m'effondrai pour repartir à l'assaut du chaos, porté et tué à la fois de cette linéarité magique et insuffisante, abordant le modèle-Maya, transitoire réseau de limites illusoires, de la matière, du corps. Corps en devenir, invariants de limitants et de contenant. Le chaos est sans doute ce processus hypermagique d'où nous extrayons douloureusement, au long de nuits de répétition, de pauvres cordes flottant seules au vent clivant de l'inorganique. « Tu ne nous a pas fait un cadeau » s'insurgea le linéaire ne sachant pas par où aborder ma thèse, condamné à tout lire pour y circuler, abandonnant donc, rongé d'irréversible.
18. Comme dans un baiser au tout premier rendez-vous, quand elle s'y prend, que les doigts se parlent au seul toucher, comme dans l'amour, quand le modèle-maya du moi, transitoire réseau de limites qui se voit hors matière, se confronte au réel par cette psychose du rasa d'amour... un jour on vous donne congé, alors vous n'appartenez pas là où vous êtes, mais vous restez, vous êtes consigné, et pourtant vous avez réussi l'épreuve. Vous êtes stupide. Sortie par le chaos, sortie par l'amour.
19. Q. Meillassoux, Soustraction et contraction. A propos d'une remarque de Deleuze sur Matière et Mémoire, Philosophie n° 96, hiver 2007, p. 67-93
20. Lyotard, cité par Ronell. Reste maintenant l'empathie et la catharsie, et reste maintenant à traverser le retranchement par les mots. Reste le Care en acte restitutif de la catastrophe.
21. Le « ça ou la mort » de R. MARION-VEYRON
22. « La pensée philosophique doit offrir une protection privilégiée aux réfugiés et laissés-pour-compte des  régimes cognitifs » est le nouvel engagement philosophique Ronell-Lyautard. Bienvenue en Révolution-Révélation ! 
23. Mais quelle douleur quand il faut « faire la preuve » de son handicap encore à venir, du demain du diagnostic, de la mort par annonce ?... Sentiment de l'endommagé, qui parle au-delà du handicap, qui a à dire ailleurs que ce que l'on entend, quelque chose parle avec le corps de perte.
24. Voir http://interlivrehypertexte.over-blog.com/article-30230505.html; pour Derrida le terme grec Chora ("espace", "lieu", "pays") contient également une connexion irréductible à la féminité ("mère", "réceptacle", "nourricier"), Chora serait ce point d'appui d'où les choses sont hominisées et les Hommes chosifiés; l'écriture s'y transforme en délire total, on y tend à la sexualisation de l'écriture. Cette connexion, cette "puissance magique" du passage des choses en l'homme est l'essence de la violence de  célinienne de Mort à crédit: "je sens monter les choses".
25. Comme J. Bousquet s'évertue à évacuer son corps pour ne pénétrer que dans l'androgynie du champ de la douleur et de l'amour: Une vie à Corps perdu, E. de la Herronière. 
26. Le discours du négationiste est co-extensif au discours scientifique. Rien de neuf depuis Lacan, la médecine est co-extensive d'Auschwitz. Le Réel est du registre du témoignage et du corps,  l'Imaginaire de celui de la fiction, qui inclut, avec le champ du parjure et du mensonge, une possibilité du témoignage;  le Symbolique est dans le champ du langage, bloqué sur la route de la représentation, tandis que « le témoignage avance une mémoire sans support prosthétique », indépendante du contexte donc, directe.
27. Nouvelle boucle qui se boucle, le « sentir » n'est pas supraconscience ni spiritisme, le « sentir » est bien de nos sens bien biologiques et corporés, il est rasa, il navigue en nous lors de la fatigue, de l'ennui, de la rêverie et du songe de l'entre-deux, chaque fois que baisse la garde du cognitif, que le parasympathique et la peau et le bide se libèrent de la domination corticale. Pessoa n'est que tripes, l'enfant n'est que désobéisseur cortical de plus en plus contrarié par l'instituteur, fut-il moral et républicain. L'école ne devrait rester qu'un pause au milieu de champs et de forêts.
28. De Joë Bousquet, op. cit.
29. Le langage psychanalytique, lui, est troisième voie entre la psychose et le dire: associer, c'est boucler. Une structure du retour, peut-être, utile entre le chaos et la convention, qui à chaque passage, ou à chaque cycle, arrache un peu plus à l'un et à l'autre de réel et d'interdit. Entre la psychose et le dire, aussi le christianisme: « mets tes mains dans mes plaies », dit Jésus aux futurs prêcheurs incrédules. 
30. M. Blanchot, Le Pas au-delà, Gallimard, 1973. Toute la problématique du certificat médical et du « récit de vie » chez le demandeur d'asile devant « prouver » les sévices reçus est bien là...
31. voir F. Zimmermann, Philosophindia
32. Sans doute l'énigme du Sphynx, et l'épreuve psychanalytique,  sont-elles à la limite de ces deux conceptions orientale et occidentale: le corps du Sphynx ou bien celui de l'interrogateur va se dissoudre dans l'épreuve. 
33. En choquant l'esprit au-delà de la pensée, au-delà du savoir, des « ouvertures soudaines dans des régions jusque-là inexplorées » (A. Huxley, 1969). Vous pouvez embrayer sur Les portes de la perception, bien sûr, mais aussi sur Contrepoint, et détourer ainsi cet au-delà du social, aussi. 
34. Une sorte de dépassement du Surmoi et donc de l'obsession dans cet au-delà de la représentation, au-delà de l'angoisse, comme un « ici et maintenant » qui ne dépendrait plus d'une singularité du lieu ou du temps. Car d'illumination en illumination, nous retrouvons bien le même chemin. 
35. Attention donc aux mémoires de thèses sans questions, par trop cycliques, contractiles autour d'un même centre, étape seulement sur la question à venir: sans combat, le lecteur est perdu ! Le texte doit bien opposer des thèses, sous peine de céder à une certaine beauté littéraire, structurale, normée. L'écriture doit rester machine à mourir, et cerner ainsi le doute, pour incrémenter la vie. La grande question de l'écriture doit s'attaquer au  corps, et non au texte. Un rapport d'auto-annulation au texte, nous dit A. Ronell. 
36. M. de Certeau, La prise de la parole
37. « Vivre est un lieu où c'est impossible (...)/ Le droit à ma carte de séjour /Je le piétine! J'en ris! » M. Tsetaïeva, Le ciel brûle.
38. On est dans Le ParK... 
39. On ne sait plus si l'italique est l'inclination de Ronell, de Nietzsche ou de Derrida, ou bien la notre, et c'est bien cela le style nouveau de l'écriture-lecture, de l'entre mort et ciel, de l'essai-poésie d'où peut surgir la question-titre.
40. Ce lieu de l'épreuve, négatif inchoatif, a quelque chose de la dimension fractale qui s'élabore et s'affine par coupures itératives dans le résultat obtenu, jusqu'à l'ensemble de Cantor, mais aussi avec le filtre deleuzien , et qui de proche en proche nous rend réceptif à une gamme de plus en plus large d'informations, tandis que l'arrêt sur la synthèse ou l'équilibre des processus linéaires permet, lui, la production du sujet métamatériel qui est opaque, invisible aux fréquences environnantes. 
41. Ne pas se résoudre à l'inorganique, nous dit aussi Aurobindo...
42. P. Levi, Les rescapés et les naufragés
43. Kant, Hegel, de Certeau, eux, sont de la lignée des crises, et nient l'essence. 
44. Et pas simplement un langage philosophique. Comme dans l'écriture mystique certeaulienne, ou dans celle, éliadienne, de l'histoire des religions, ce langage est bien autorisé d'un ailleurs qui ne se dit pas mais se cerne; transparait aussi dans les « après » et les « autour » du texte la croyance de l'énonciateur. On n'expose pas impunément une communauté à la Max Weber, même sans presque la citer: on s'expose tout entier, toute entière, au désir de l'autre d'y accéder.
45. Et toutes les constructions traumatiques en chaîne, l'impérativité du trauma, ddouleur/dt, « ça enchaîne », dit la patiente douloureuse chronique, l'épreuve la plus dure s'auto-administre, on ne peut guérir d'une façon imposée, il faut gagner d'abord l'orée de sa mort. Un autre lieu, au bord du deuil. La douleur en décalage vers, arrachement au linéaire. Dans le pas-de-côté douloureux, la fidélité (famille, couple, identité, religion, etc...) est antalgique...
46. Comme une guérison sans restitution... La maladie, moyen et hameçon de la connaissance, jusqu'à cette liberté de l'esprit, qui ouvre la voie à des manières de penser multiples et opposées: Nietzsche ou Canguilhem ? Une fois la maladie embrassée, la grande santé née de la séparation permet à la vie d'être vécue à titre d'expérience (Ronell). Convalescence et adaptation: la positivité de la santé, à petites doses, comme une répartition discrète: un Moi fractal qui s'assume...


samedi 10 septembre 2011

effondrement social, Care et Karuna

notes de lecture autour des articles de
 Geneviève Decrop
Au delà de la crise, vers une troisième modernité ?
Entropia N°7 automne 2009
pp. 107-120
et de
Delphine Moreau
De qui se soucie-t-on ? Le care comme perspective politique 
Revue internationale des Livres & des idées (RiLi) N°13 septembre-octobre 2009
pp. 18-22 


 
L'endettement relève d'un "processus primaire" économique, celui de croire posséder l'objet désiré, par la simple existence du désir de consommer... Nous sommes dans un mode de présence au monde qui est celui de l'endettement, et de la contagiosité, celle des créances pourries imposées aux plus pauvres pour la croissance de quelques uns. Il y eut, dans notre occident, les institutions, les églises; le XVIIIè siècle créa le citoyen, cette "immanence institutionnelle, démocratique"; et le chemin s'engagea vers le progrès et l'émancipation totale de l'individu à ses liens au local, vers l'émancipation de la raison à ses obscurantismes, vers l'émancipation du métabolisme à la biologie, et de la culture à la nature. Vint 1945 et l'émancipation des femmes et autres colonisés. Mais Auschwitz avait décrété le biopolitique, et son relai ultralibéral des années 1980: la démocratie cédait alors la place à une société d'individus formatés par une oligarchie profitante. Ne reste, à cet individu moderne dépossédé du citoyen, que le désir, et la dette, que ce sentiment d'autonomie au prix d'une dépossession radicale, et dont il n'a pas même conscience dans le quotidien. Et si un jour il se réveille, il ne lui reste que  la peau de la victime...1 Cet individu autonome, émancipé de ses affects, et qui se croit en accès libre à l'espace public était jusqu'à aujourd'hui le modèle de l'acteur moral, du sujet politique: or cette fiction moderne de l'individu autonome et performant n'est plus que le reflet, peut-être le noeud, de l'impuissance de ceux qui sont laissés à découvert par les défaillances du programme: femmes, travailleurs étrangers sans-papiers, pauvres, etc..., ceux qui effectuent ces tâches "invisibles" (voire "impudiques" quand elles touchent à l'intime de l'aidé) ou au mieux considérées comme "naturelles", du Care...

Le Care en remède à l'effondrement annoncé ?
Trois voies alternatives pourraient se présenter à la société: un retour nostalgique aux petites communautés,  où pour de bon il faudrait travailler plus, mais pour sa propre survie et non l'enrichissement de l'oligarchie; une reprise du contrôle des machines folles par la raison; ou, piste sans doute la plus fructueuse, l'instauration des principes du Care, cette philosophie initialement développée aux USA par des intellectuelles féministes. Il ne s'agit pas d'une morale à usage privé, ni d'un outil réservé aux statuts les plus dévalorisés: le Care comprend "tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre monde"2, monde entendu comme unité comprenant nos corps, nous-mêmes en tant que sujets, et l'environnement: le Care est soutien à la vie du réseau de ces éléments3. Issu du mouvement féministe mais aussi, via la contre-culture américaine, de l'orient et de la pensée hindoue, le Care est une philosophie de la sollicitude: les femmes, en effet, et les non-occidentaux, ne peuvent s'abstraire du sensible et du particulier. Doctrine philosophique, le Care est aussi une pratique et une éthique au service de la santé, du social, de l'enseignement, dans laquelle les êtres sont interdépendants et non plus des fictions de l'autonomie, dans laquelle l'individu le plus performant et le plus autonome ne peut se déployer sans tout un appareillage externe, des réseaux, le travail des autres, des services. Philosophie ayant une approche voisine de celle de l'"hypothèse Gaïa" (la planète en être vivant, ou hylozoïsme de la tradition hindoue6), le Care replace l'homme dans la nature, la nature n'est plus une "ressource" plus ou moins exploitée par l'homme, plus ou moins valorisée par le travail, mais un milieu dont l'homme n'est pas coupé et avec lequel il interagit5.Ce Care est à la fois rendu invisible actuellement, et est aussi d'un accès inégal selon les ressources et la situation sociale,  dans nos sociétés libérales... Maintenu invisible, aussi, car il fausserait "l'équation capitaliste" des nations4...

Care et Karuna 
(de l'émotion au soin: charité ou "tous accrochés" ?)
 Care signifie tout autant "se soucier de" (to care about), "prendre en charge" (to take care of), "donner le soin" (care giving), "recevoir le soin" (care receiving). Dans sa première acceptation, "se soucier de", il rejoint les notions sanscrites de maitri (empathie) et de karuna (compassion, ou empathie pour ceux qui souffrent) entre tous les êtres vivants13. Il est une disposition, "se soucier de" est du registre de la compassion "passive", ""donner le soin" de celui de la compassion "active"7. Le Care permet, tout au long d'un processus empathique, de "boucler la boucle" entre la victime et le sujet, voire entre la victime et la douleur: le Care doit permettre de retourner la haine en soin, d'appliquer le principe de non-malévolence (Ahimsa). Le Care est une pensée-action, en accord avec le souci de réparer ce qu'à fait l'exploitation économique de l'environnement global, il est une re-création de liens entre humains mais aussi entre humains et non-humains. Le Care n'est pas renoncement aux acquis de la modernité8; nous avons juste à abandonner notre illusion d'autonomie à la surface de l'écorce d'un monde qui nous serait à la fois soumis et étranger, nous avons juste à abandonner ce "moi" qui n'existe pas...: le Care est à l'antipode des communautarismes, et le vulnérable y sert de boussole, pas de victime9. Le Care permet de poser un regard autre que celui du prédateur sur les êtres et sur les choses10, il permet un retour à l'affect.12,14 

Le Care en pratique: l'aide humaine
 (une économie du cher
Le projet du Care est un maillage social du souci et du soin, basé sur notre commune interdépendance naturelle, même si certains dépendent de manière "plus vitale" du soin ou de l'aide des autres. La vulnérabilité nous est constitutive: chacun, à un stade quelconque de son existence, nécessite du Care de la part des autres, ne serait-ce que l'enfant de sa mère, mais aussi l'homme d'affaires "surbooké" de la part des prestataires de services (ménage, etc...), la personne âgée dépendante de la part de son entourage ou de la société, etc... La dépendance à autrui ne doit pas s'apprécier que dans une perspective longitudinale (petite enfance, grand âge), mais il faut également attirer l'attention sur les formes de Care au quotidien dont chacun de nous fait l'objet, au sein du couple, de la famille, des amis, des collègues, des professionnels, autant de dépendances déniées mais qui nous maintiennent en lien au monde. Le débat peut alors se déplacer, non plus sur une distinction arbitraire entre "indépendants" et "dépendants", mais sur la distinction entre ceux qui peuvent se procurer le Care dont ils ont besoin et ceux qui ne le peuvent pas: la conscience de la vulnérabilité de tous, la remise en cause de l'altérisation par la dépendance, doivent dans la philosophie du Care être à l'origine d'un véritable effet politique, les destinataires du Care ne devant pas être conçus comme des éléments passifs du dispositifs, mais comme des maillons de celui-ci3, et doivent par ailleurs pouvoir faire entendre leurs préférences, leur projet de vie. "Même si parfois de la voix des "carereceivers" n'est conservée que le son, et pas la parole" (personnes dans le coma, atteintes de troubles psychiques, enfants, etc...). La formation à ces tâches d'aide, aide familiale, aide ménagère, aide humaine est cruciale à penser et organiser. Actuellement, ces tâches sont socialement dévalorisées, et effectuées par des personnes elle-même le plus souvent en précarité sociale, qui de plus sont sur-exposées à des pathologies professionnelles (physiques du fait de la lourdeur des interventions, mais aussi de type "burn-out" psychologique, voire de maltraitance, du fait de l'exposition par exemple à la détresse de patients en phase terminale de maladie chronique, de personnes handicapées, de personnes âgées dépendantes). Alternativement, l'hyper-sollicitation des aidants peut conduire à des attitudes de maltraitance envers les aidés15. Peut-on effectuer les tâches du care sans s'impliquer affectivement ? Quelle professionnalisation du care, ou quel volontariat ? Quel équilibre optimal "bonne volonté"/ compétence doit-il être atteint pour que le Care reste un maillage et non une logistique11 ?
Face au défi financier pour les collectivités à financer ces aides humaines, des "crédits Care" pourraient être mis en place sur un mode solidaire et redistributif, selon les principes originaires de la Sécurité Sociale, chacun fournissant du Care selon ses possibilités à certaines périodes de sa vie, et en recevant à d'autres. Un "service civique du Care" pourrait même être proposé sur la base d'un volontariat, et avec une formation adéquate, aux jeunes qui le souhaiteraient. Rendre de l'autonomie déplace et dépasse la charité de nos premiers hospices pour réinsérer le receveur de Care dans une activité sociale et économique, et en mobilisant le minimum des ressources de la collectivité (maintien à domicile versus hospitalisation, par exemple).
Doit on craindre des dérives de la mise en place du Care  vers des "localismes" ou vers du "maternage" sanitaire ou social ? L'empathie peut-elle paradoxalement obérer l'autonomie d'autrui ? On peut surtout espérer du Care un approfondissement démocratique, car la construction des politiques du Care ne peut se faire sans se référer aux bénéficiaires. Mettre en place le Care relève du double enjeu de la réflexion morale (dimension relationnelle et attentive au singulier) et de la dimension politique (correction de la manière dont les activités de Care sont inégalement réparties, et supportées le plus souvent par ceux qui pourront le moins en bénéficier quand ils en auront besoin).

Bienveillance et bientraitance  
sont des notions qui font progressivement leur entrée dans le champ professionnel médico-social15, et même dans celui de l'"accréditation": les dérives à venir sont sans doute plutôt à craindre de cette tentative de codification de la karuna...
La bienfaisance (non nocere et maximiser les avantages) est devenue, dans le cadre des protocoles de recherche, une "obligation légale" faite aux professionnels. La notion de bienveillance, plus récente, se situe au niveau de l'intention des professionnels, et comporte une dimension de veille. La notion de sollicitude développée par Paul Ricoeur consiste quant à elle à rétablir au sein d'une relation dissymétrique une attitude permettant de rétablir un équilibre, face à une fragibilité momentanée ou durable de l'autre. Le Care procède de ces différentes attitudes et pratiques, et ne doit pas être déterminé, face à la personne dépendante, par la règle ou le droit, mais par l'adaptation de la réponse à une situation toujours singulière, en sortant de son propre cadre de référence pour entrer dans celui de l'autre. Le concept de bientraitance, qui voit lui le jour dans les années 1990 dans le domaine de l'accueil des très jeunes enfants, peut se rapporter au concept winnicottien de "mère suffisamment bonne", dans le sens ou le soin relève d'un ajustement à un enfant particulier et à un moment donné: la posture bientraitante doit être ajustée à un usage singulier à un moment donné, et cette adaptabilité relève d'une faculté d'empathie et d'une posture de négociation de la part du professionnel. Personnalisation permanente de la "prestation", la bientraitance ne peut recevoir de définition définitive. Recherche d'un équilibre au sein d'un couple aidant-aidé amené à évoluer, la démarche de bientraitance nécessite également une attitude de questionnement collective sur les pratiques et leur mise en acte.
La démarche de bientraitance répond aussi étroitement à l'exposition des professionnels  à la complexité des situations de maltraitance, proposant une démarche et un enjeu auprès des plus vulnérables: utiliser le terme de bientraitance oblige les professionnels à garder à la mémoire le risque de maltraitance dans ces populations, à l'englober dans une stratégie affective, à l'image de la non-violence hindoue (ahimsa) qui n'est pas simple absence de violence, mais contrepoint total de cette violence, structure en miroir de la violence. Ainsi la bientraitance est elle à la fois démarche positive et mémoire du risque. Fondée par ailleurs sur l'égale dignité de tous les êtres humains, ellle est réaffirmation pour les professionnels du secteur médico-social des principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme, et s'affirme ainsi en manière d'être des professionnels, au-delà d'une série d'actes. Elle suppose un aller-retour permanent entre penser et agir: de la bienveillance, la bientraitance retient l'importance de l'action positive, à laquelle s'ajoute la nécessité d'un acte bienfaisant, recherchant le plus juste équilibre au sein de toutes les contraintes. Sans intention positive, la bientraitance serait arbitraire, sans acte concret elle se limite à une bonne intention.




1. La victime est le symptôme de la défaillance du biopolitique à décider de la vie et de la mort de l'individu. En se réveillant dans la peau de la victime, le sujet reprend conscience de son interface.
2. Un processus collectif anti-entropie sociale, comme la vie biologique est anti-entropie objectale. 
3. voir Joan Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, La Découverte, Paris, 2009.
4. Le Care fourni par les femmes  en particulier, auprès de leurs familles, est considérablement négligé dans les différents indices socio-économiques, comme le souligne depuis longtemps l'association Attac (voir Le développement a-t-il un avenir, Mille et une nuits, 2004).
5. "Tant  qu'il y aura la nature et l'homme, il y aura la police entre deux" (Comité invisible, L'insurrection qui vient).
6. Des interactions réglées de l'univers: castes et inégalité du Care... ???
7. Dans les traditions orientales, la compassion est plus un exercice spirituel de l'individu, même si la finalité de cette expérience est l'ouverture du "soi" sur "l'autre du monde": amitié, compassion et non-violence sont des positionnements dans le monde, mais à point de départ individuel; dans la morale chrétienne, la compassion inclut la charité, l'action envers le souffrant.
8. Où l'on retrouve l'idéal fondateur d'Auroville: du lien et de la modernité, de la biomasse et de la conscience. 
9. Où l'on relira avec intérêt Le normal et le pathologique de G. Canguilhem... 
10. Car nous sommes maillons de la pathocénose du monde. 
11. Ou comment éviter la dérive du "tiers-mondisme" des ONG des années 60 vers la logistique économique actuelle des grandes entreprises de solidarité internationale ? 
12. Poser un regard et agir: en celà le Care garde cette composante externe, qui n'est pas celle de l'amour, du lien amoureux qui s'établit par l'intermédiaire des sens, qui crée "le grand soi", et qui peut en retour, dans cette fusion psychotique de l'amour fou, être un perturbateur du lien social externe... Belle du Seigneur déchu... Mais peut être aussi les "inclivés", nos "fous", sont-ils dans une situation de dépendance envers un "amour-Care" thérapeutique, et peut-être en pratique psychiatrique, le Care "doit"-il gagner cette dimension "amoureuse", c'est-à-dire faire du lien par les sens, mais dans le cadre collectif d'une équipe de soin,  dans une "constellation transférentielle" et dans des "suites métonymiques institutionnelles" (P. Delion, Séminaire sur l'autisme et la psychose infantile, érès, 2009) ? 
13. Francis Zimmermann, Philosophindia 
14. Le Care en stratégie de débanalisation du mal (cf. H. Arendt)
15. Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm), Recommandations de bonnes pratiques professionnelles. La bientraitance: définition et repères pour la mise en oeuvre.